Une pute de plus pour moi ce soir. Je renfilai mon pantalon après m'être vidé les couilles comme il fallait et bouclai ma ceinture. La nuit n'était pas trop avancée encore et j'avais le temps d'aller boire un ou deux canons dans un des coins les plus mal famés de la ville. C'était dans ce genre d'endroits que je me sentais le mieux maintenant : personne ne me connaissait et surtout personne ne s'occupait de moi. Un soir sur deux cependant, j'en venais aux mains avec un des autres mecs présents, et ce dans les bars, dans les rues ou n'importe où d'autre : cogner était devenu un de mes passes-temps favoris, un defouloir dans lequel je passais toute ma colère qui malgré tout ce temps ne faiblissait pas.

Finissant de me rhabiller complètement, je glissai une main dans la poche de mon futal pour choper un billet et le balancer sur le lit où se trouvait encore celui que je venais de tringler. "Tiens, pour tes bons services." Je le laissai alors et claquai la porte de la chambre miteuse qui était la sienne pour sortir et me retournant, je longeai le couloir qui menait a la sortie.

Dehors, il y avait une douce brise qui me fit un bien fou. Encore en sueur, j'avais hâte de pouvoir prendre une bonne douche et je profitai pleinement de ce petit vent qui me rafraîchit la nuque et qui s'invita entre les pans de mon blouson. Je tâtai mes poches et en sortis finalement mon paquet de cigarettes pour en glisser une entre mes lèvres et l'allumer. Comme je m'y attendais, un des prostitués qui faisait du racolage devant l'établissement s'approcha de moi pour m'en taxer une que je lui cédai. Sans lui prêter plus d'attention, je lui tournai le dos et m'engageai dans une des ruelles sombres de ce quartier que je connaissais comme ma poche. Pas besoin d'aller très loin pour aller de l'Opium jusqu'au trou à rats qui me servait de repère : le bar n'était qu'à quelques rues d'ici. La soif me fit accélérer quelque peu, comme si l'alcool qu'ils servaient là bas allait pouvoir y changer quelque chose. Au bout de la rue, je levai les yeux vers un rayon de lune qu'on apercevait que rarement ici bas et cette faute d'inattention de ma part me fit rentrer dans quelqu'un en tournant au coin. « Putain mais regarde où tu vas ! » J'admettais que c'était ma faute mais le destin était clément avec moi ce soir et me poussait ce gugusse dans les bras pour que je puisse me défouler un peu, alors autant mettre de l'huile sur le feu tout de suite.

Est-ce qu'il était sourd comme un pot ou pensait-il vraiment qu'il allait pouvoir garder le dos tourné ainsi et s'enfuir comme si de rien n'était. Je fis craquer mes doigts par réflexe en pensant que je n'allais sûrement pas avoir à chercher très loin ce soir pour trouver un adversaire. Il laissa échapper un petit rire qui se mêla aux cris des saoulards un peu plus loin et aux rires gras dans les tavernes miteuses environnantes. Je me figeai alors, pris d'un affreux doute, et le regardai se baisser : était-ce mon imagination qui me jouait des tours pour me replonger dans les affres du passé malgré moi ? Je refusais de croire qu'un simple hasard m'aurait fait croiser sa route. Je ne voyais pas son visage, impossible de confirmer mes soupçons, bien que la lumière de son briquet m'aurait permis de le reconnaître s'il n'avait pas été de dos. Il fit mine de s'éloigner et je retrouvai l'usage de mes membres, m'avançant vers lui en quelques foulées rapides pour l'attraper par l'épaule et le retourner sans autre forme de procès. Ces traits .. ce visage .. « ..toi ! » La surprise était totale et pourtant, je sentais déjà la colère monter en moi, cette fureur intense et malsaine qui m'habitait jour et nuit depuis cette fameuse journée il y avait bientôt un an.

De mon point de vue, c'était le destin qui s'acharnait sur moi. Après tout ce temps à essayer de se reconstruire et à faire abstraction de tout ça sans y arriver pour autant, voilà que je devais tomber sur lui pour remuer le couteau dans la plaie et la rouvrir, aussi béante qu'au premier jour. Minguk. Il m'avait lui aussi reconnu désormais, et nous nous regardions en chien de faïence. Est-ce que c'était un mauvais rêve comme tous ceux que j'avais faits jusqu'alors, bien que plus réaliste ? L'humidité dans ma nuque et sur mes temps s'était désormais transformée en sueurs froides. Il m'était arrivé de me demander si je serais capable de le pardonner et de faire abstraction du passé si je le recroisais un jour et, bien que la réponse fût négative à chaque fois, le mépris digne que j'avais imaginé était bien loin de cette ire incontrôlable que je sentais monter et monter encore en moi .. monter jusqu'à ce qu'elle déborde et me submerge. Le coup que j'avais imaginé tant de fois lui asséner parti tout seul : mon poing se referma et s'abattit sur l'avant de sa mâchoire, faisant craquer mes jointures. « Ca c'est pour le coup de petite pute que tu m'as fait en te tapant Soo Ha dans mon dos, sale bâtard ! » Ce salop allait me le payer. Je lui en voulais comme si ma vie en dépendait depuis ce jour où j'avais tout appris. Voir son visage avait fait remonter tout un tas de souvenirs en moi, des bons comme des mauvais et c'était encore plus douloureux comme ça.

Agitant mes doigts pour faire craquer mes jointures après ce crochet du droit, je le dévisageai d'un regard méprisant et le vis cracher du sang. J'aurais pensé que ce coup m'aurait soulagé d'un certain poids et pourtant, c'était bien loin d'être le cas. Je rêvais depuis longtemps de me défouler sur lui, de lui montrer à quel point il m'avait déçu et blessé. Il était celui qui m'avait ouvert les yeux quand à ce qu'on appelle 'amitié' : on ne peut compter que sur soi-même, les autres ne sont jamais dignes de confiance, aussi proches soient-ils de vous.

Je refusai de m'avouer que ses mots me firent mal. Mon histoire avec Soo Ha était la chose la plus précieuse à mes yeux et lui n'avait pas hésité à me le prendre pour s'en vanter encore aujourd'hui apparemment. « Manque de chance ? » C'était plus que ça, c'était l'occasion de régler de vieille rancœurs bien que j'aurais pu aisément me passer de toute cette douleur remontée à la surface dès lors que je l'avais reconnu. « Parle pour toi. Lui entre tous .. comment est-ce que t'as pu me faire ça ? » Garder mon sang froid était difficile, sans compter que je ne voulais laisser paraître aucune émotion ; je clamais haut et fort à qui voulait l'entendre que je ne ressentais plus rien et pourtant, il avait fallu une seule rencontre avec Minguk pour me faire replonger.

Un rire .. ? C'était ça, sa réponse ? On voyait que j'avais exceptionnellement compté pour lui s'il en arrivait à rire de mon malheur. Rien ne le choquait dans ce qu'il avait fait ? Les accusations suivirent et je le dévisageai en silence. Il avait l'air de penser dur comme fer que je me pensais innocent dans toute cette histoire. Il était bien loin du compte. Il n'avait jamais eu vent des mois de dépression par lesquels j'étais passés, personne d'ailleurs, et même après tout ce temps je n'arrivais toujours pas à me pardonner. Ce sale con appuyait là où ça faisait mal sans le savoir et comme un bleu, rongé par la culpabilité, je me fis avoir et ne remarquai que trop tard qu'il fondait sur moi. Le coup que je reçu me fit presque du bien. C'était bien pour ça que la violence et les combats faisaient partie intégrante de ma vie désormais : je méritais toute cette douleur. Le coup porté à l'abdomen me fit me plier en deux, le souffle coupé. Je léchai ma lèvre éclatée et furieux, me redressai aussitôt, ses mots me faisant bouillir de l'intérieur. Je me jetai sur lui à mon tour et agrippai sa veste, le plaquant violemment contre le mur derrière lui en cognant sa tête. « Mais pour qui tu te prends à me dire ça ?! T'es qu'un pourri, un faux-frère qui m'a volé la seule personne à laquelle je tenais vraiment !! Il était tellement mal qu'il s'est tué, tout ça à cause de qui, HEIN ?!! DE TOI CREVARD, DE TOI !!!! » Je le secouai comme un prunier, déchirant à moitié son col.