Que dire de toi ? T’es un mec normal. Comment ça, ça ne suffit pas ? Bon, d’accord, on continue. Physiquement, t’es pas mal. Non, c’est vrai. Plutôt grand, des cheveux bruns foncés qui te tombent devant les yeux - quand tu ne les relèves pas au-dessus de ta tête, te donnant un air plus enfantin-, un léger sourire, presque invisible, qui étire continuellement tes lèvres, mais t’as pas un air rêveur, ça non. T’es pas vraiment le genre à rester bloqué dans tes pensées. T’es même assez terre-à-terre, en fait. Il faut l’avouer, tes petits bonheurs de la vie, c’est pas tes rêves. Ce serait plutôt ce genre de trucs que tu peux avoir qu’avec du fric, même si t’en as pas tellement. Enfin, pas autant que ceux qui habitent en haut. T’es juste comme tous ceux qui habitent dans la ville Moyenne : moyen. Ni riche, ni pauvre. Tu vis bien, ton quotidien est plutôt sympa avec tes potes ou tes deux pères qui t’attendent tous les week-ends que tu aille les voir pour te gaver des gâteaux que ton Papa te fait. Ben oui, il est pâtissier. Alors quand tu retournes chez toi, tu sais que des sourires t’attendront, à côté d’un énorme gâteau dégoulinant de crème et de la petite enveloppe qui contient ton argent de poche hebdomadaire. Eh oui, à 22 ans, ils ne peuvent toujours pas s’empêcher de te le donner en main propre, et pas sur ton compte. Et pourtant, ils savent qu’ils ne devraient pas. Ils te connaissent, après tout, c’est eux qui t’ont élevé. Ils le savent, que dès que t’as un peu d’argent en main, tu te sens obligé d’aller le dépenser ; mais ils continuent. Peut-être qu’ils attendent du changement de ta part.

Tu parles.

Tu ne changeras jamais. A chaque fois, tu prends l’ascenseur, et tu descends en bas, dans la ville Basse, pour alléger tes poches. Et ton porte-monnaie. C’est vrai que si tu veux aller t’acheter de nouvelles fringues pour ton armoire –qui serait déjà assez remplit pour le commun des mortels, mais évidemment pas pour toi – tu préfères rester dans la Ville Moyenne, la qualité y est meilleure. Mais la ville Basse, elle t’offre des possibilités que tu n’aurais pas eues dans la ville Moyenne. Ce genre de possibilités que tes pères n’aiment pas, et critiquent même, en disant que « ce n’est pas hygiénique », que tu « pourrais trouver mieux ailleurs » et surtout que « l’utilité est minime, puisqu’il n’y a pas de sentiments derrière tout ça ». Mais justement. C’est pour cette dernière raison que tu vas les voir, ces garçons qui vendent leurs corps dans la Fosse : parce qu’il n’y a pas de sentiments quand vous faites l’amour. Ouais, tu dis quand même « faire l’amour », parce que t’es pas une brute non plus. C’est juste une manière comme une autre d’assouvir tes besoins primitifs. Et tu penses qu’il vaut mieux profiter de ces moments-là à deux, pas chacun de son côté.

Sinon, t’es pas vraiment le genre de mec qui s’attire des problèmes, ni qui en crée. T’es un peu banal, en fait. Enfin, si on peut appeler tes dépenses excessives et incontrôlables des banalités. Bon, c’est vrai, mis à part ça, t’es plutôt normal. Si t’es étudiant en littérature, c’est pas non plus pour rien : t’aimes bien lire. Non t’adores. Quand t’étais gamin, tes pères avaient du mal à te faire arrêter ta lecture pour t’ailles manger, c’est dire. A croire que c’était la seule chose qui t’importait. Et qui t’importes encore, en fait. Tes potes à l’université se moquent presque de toi quand tu sors un de tes classiques de ton sac, et sont franchement exaspérés quand tu te mets à le lire à table, à la cantine, alors que trente secondes auparavant, tu discutais tranquillement avec eux. Mais il paraît qu’à force, on se fait à tes habitudes bizarres.
Enfin, seulement si on est au courant de toutes tes méchantes habitudes. Ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde…